Afin
d'illustrer la thématique héros et personnages, nous nous
interrogerons sur la notion de martyrs. Nous pouvons en effet les
considérer comme héros car ils étaient prêts à se sacrifier pour
défendre une cause qui leur semblait juste. De nos jours, ce terme
est couramment utilisé, il est relié au thème de la violence et du
sacrifice. Un martyr est un héros qui est mort violemment pour
défendre sa cause tout en acceptant son sort. Ce mot vient du grec
« martur, marturos » qui signifie « témoin ». Étymologiquement,
il renvoie à l'idée que le personnage doit marquer. D’autre part,
il est témoin de l'idéal. Cette appellation est apparue avec la
naissance du Christianisme et le martyre de Jésus Christ.
Aujourd'hui, la notion de martyr a évolué, son sens s'est élargi.
Il conviendrait de se demander si, à ce jour, la figure de martyr
est toujours la même et si le sens n'est pas galvaudé. Nous avons
pu observer plusieurs types de martyrs. Nous nous demanderons donc
comment la notion de martyr a évolué d'hier à aujourd'hui.
Premièrement, nous analyserons deux cas de martyres religieux,
ensuite, nous étudierons deux figures de martyrs du XXème siècle
et pour finir nous examinerons le cas du djihadiste et nous
demanderons s'il peut être considéré comme martyr.
Un
martyr chrétien est une personne qui est prête à souffrir, mourir
pour ses croyances, pour sa foi en Dieu. Dans le Christianisme,
l'adoration des martyrs est une notion courante, ils deviennent des
saints, leurs tombes deviennent des lieux de cultes et sur certaines sont
bâties des églises.
Ainsi,
nous allons d'abord étudier l'exemple du '' Martyre des sept frères
'', un extrait du livre des Macchabées, dans l'Ancien
Testament.
En
166 avant Jésus Christ, le roi syrien Antiochus Epiphane introduit
les pratiques païennes à Jérusalem et dans toute la Judée ; il
obligea les Juifs à se reconvertir. Les sept frères, ainsi que leur
mère, refusant cette reconversion, furent jugés par le roi. Chaque
membre de la fratrie désobéissant aux ordres fut tour à tour
torturé, avant de succomber à ses blessures. L'un des frères a
subi le supplice de la roue, un autre s'est fait couper la langue ;
de plus, les sept frères ont connu ce jour là, la flagellation, les
brûlures, la lacération des chairs, l’amputation de membres mais
aussi toutes sortes de tortures plus horribles et douloureuses les
unes que les autres.
Le supplice de la roue, extrait de Petite histoire de la civilisation française,
d’Alfred Rambaud.
Chaque
frère savait qu'il allait mourir, il était prêt à souffrir plus
que le précédent, pourtant jamais aucun ne renie sa foi. Ils
déclarèrent : « Nous sommes prêts à mourir, plutôt que de
transgresser la Loi de nos Pères ! » ; de plus, ils n'ont jamais
accepté de se soumettre au roi ou encore de se justifier pour
épargner leurs vies. Ils sont sortis victorieux de leur combat dans
la mesure où ils savaient qu'ils auraient la vie éternelle auprès
de Dieu. Aujourd'hui, la Normandie possède une ville nommée
Sept-Frères dans le Calvados, de plus, dans l'Ancien Testament, une
fête leur est consacrée le premier août.
Les
sept frères martyrs sont considérés comme des héros par leur
peuple ( les Juifs ), en effet, ils représentent l'héroïsme, le
courage et l'espoir en Dieu.
Nous
pouvons dire que cette fratrie illustre la notion de martyr dans la
mesure où d'une part, elle se battait pour une juste cause, la foi ;
d'autre part chaque frère a subi une violence démesurée et
éprouvante avant de mourir.
( Source : voir sitographie, le martyre des sept frères, 5ème lien )
Nous
allons maintenant nous intéresser à Saint Étienne. Cette figure
emblématique du christianisme est officiellement le premier martyr chrétien après
le Christ. En effet, au premier siècle après Jésus Christ, Étienne
s'en prend agressivement à l’assemblée du Sanhédrin et reproche
aux juges leur manque de croyance, ainsi que la mort de certains
saints persécutés et y décrit leurs cœurs comme gelés. Mais ce
chrétien, rempli de l'Esprit Saint, fixa le ciel et vit la gloire de
Dieu et Jésus Christ debout à sa droite. Quand le chrétien raconta
sa vision aux juges, il passa pour un blasphémateur et signa son
arrêt de mort. En effet ses bourreaux le traînèrent hors de la
ville avec une agressivité affligeante, par la suite, ils le
lapidèrent à mort. Étienne mourut lentement, cependant en sachant
qu'il allait rejoindre Dieu ; il pardonna ses bourreaux malgré le
supplice qu'ils lui avaient infligé.
( Voir sitographie, Saint Étienne, 1er lien )
Le
culte d’Étienne se caractérise aujourd'hui par des fêtes lui
étant consacrées : le 26 décembre pour les églises catholiques,
le 27 décembre pour les églises chrétiennes orientales et une date
commune pour les deux églises, le 2 décembre.
De
plus, un grand nombre de villes et de communes portent le nom de
Saint Étienne, comme par exemple dans le département de la Loire en
France. Étienne illustre lui aussi la notion de martyr dans la
mesure où, lui aussi défendait une juste cause, la croyance en
Dieu, et ayant également considérablement souffert avant de mourir.
La lapidation de saint Étienne, Gabriel-Jules Thomas, 1863,
Lunette du portail de l'église Saint-Étienne-du-Mont, à Paris
( Voir sitographie, Saint Étienne, 2ème lien )
Nous
constatons que dans le cas des sept frères comme dans le cas
d’Étienne ; une même cause est défendue, la foi. Chaque
personnage, malgré la menace, a refusé de renier sa foi, chacun a
accepté son sort malgré les tortures qu'il se voyait infliger, des
tortures d'une brutalité indescriptible. De plus, un culte est
attribué à chacun, en effet, des fêtes sont accordées à ces
personnages, et des
lieux portent également leurs noms.
À
présent, nous allons étudier une nouvelle forme de martyre, apparue
majoritairement au XXème siècle, et où la seule caractéristique
qui diffère, est que dans ce cas, le martyre n'est pas religieux.
Nous débuterons en étudiant le portrait d'un célèbre martyr français, chef de la Résistance française. Durant la Seconde Guerre mondiale, alors que les Allemands occupaient la France, divisée à ce moment-là en deux parties, la zone libre et la zone occupée, la Résistance s'organisait autour d'un homme, Jean Moulin ( 1899 – 1943 ).
Photographie prise par son ami d'enfance
Marcel Bernard
Alors que le célèbre chef de la Résistance française se réunissait avec d'autres dirigeants à Caluire-et-Cuire ( près de Lyon ) le 21 juin 1943, il fut interpellé par la Gestapo et conduit au siège de celle-ci. Jean Moulin considérait les résistants comme des « troupes prêtes aux sacrifices les plus grands » ; et en effet, il en était prêt car comme le dit sa sœur : « son rôle est joué, et son calvaire commence. Bafoué, sauvagement frappé, la tête en sang, les organes éclatés, il atteint les limites de la souffrance humaine sans jamais trahir un seul secret, lui qui les savait tous ». Jean Moulin mourut après avoir consacré toutes ses forces à la République asservie. Nous reconnaissons cette souffrance qui est caractéristique des martyrs. Il souffrit, il mourut mais il vaincu, 70 ans après sa mort, il demeure l'« exemple d’indomptable courage, modèle rayonnant de sagesse et de cœur ».
De nos jours, nous continuons de commémorer sa mémoire ; le 19 décembre 1964, lors de son inhumation au Panthéon qui a pour vocation d'honorer de grands personnages ayant marqué l'histoire de France, le Premier ministre André Malraux délivra un discours pour rendre hommage à Jean Moulin. Ce jour-là, il rappela le silence du résistant malgré la torture : « Comprenons bien que, pendant les quelques jours où il pourrait encore parler ou écrire, le destin de la Résistance est suspendu au courage de cet homme. Comme le dit Monsieur Moulin, il savait tout ». « Chef de la Résistance martyrisé dans des caves hideuses », il vaincu l'occupant en gardant le silence. André Malraux incita également les jeunes de chaque génération à ne pas oublier cet homme, ses actes et son courage :
« Aujourd'hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n'avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France ».
Extrait du discours
d'André Malraux lors du transfertdes
cendres de Jean Moulin au Panthéon Après avoir commandé la Résistance, après avoir été arrêté à Caluire, le héros devint martyr, sa mort intervenant après de longues heures de souffrance et ayant défendu sa cause jusqu'à son dernier soupir le 8 juillet 1943. Au cours du XXème siècle, d'autres personnages devinrent des martyrs, le militant Steve Biko fut de ceux-ci.
Conceptualisée et introduite en Afrique du Sud en 1948, l'apartheid ( politique de ségrégation raciale en Afrique du Sud, conduite par la minorité blanche sur la majorité noire ) est fondée sur le développement séparé des populations, elle a entraîné divers massacres célèbres tels que le massacre de Soweto en 1976. En effet, des associations et des personnes combattaient l'apartheid comme par exemple la SASO( South African Students Organisation ) ou encore la NUSAS ( National Union of South African Students ) dont faisait partie Steve Biko ( 1946 – 1977 ), un militant noir.
( Source : voir sitographie, Steve Biko, 1er lien )
En effet, Steve Biko, pendant des années, a combattu pour les droits de son peuple n'acceptant pas qu'une infime minorité de colons impose un système entier de valeurs aux peuples indigènes. Cet homme faisait donc partie de diverses associations qui luttaient contre l'apartheid, car, selon lui, les Noirs pouvaient se libérer eux même à condition de ne pas baisser les bras et se sentir inférieurs aux colons. Steve Biko est arrêté plusieurs fois suite à son idéologie anti-apartheid.
En 1973, Biko est détenu sous accusation de terrorisme, il est également banni mais aussi interdit de discours en public.
En 1976, suite à la détention de Steve Biko, des soulèvement se produisent dans les townships ( bidonvilles ), de plus, des écoliers se révoltent eux aussi, c'est à ce moment là que commence le massacre de Soweto, le 16 juin 1976 qui fera, à l'heure du bilan, au moins 575 morts.
Jeune écolier tué par la police lors du massacre
( Source : voir sitographie, Steve Biko, 2ème lien )
Steve Biko est arrêté le 18 août 1977, il est emmené à Port-Elizabeth où il est torturé ,en effet, il est violemment frappé mais aussi ouvert sur le visage. Il est ensuite transféré à Pretoria. Plusieurs versions concernant la mort de Steve Biko nous ont été transmises, en effet son décès est relativement suspect ; selon la police, Biko serait mort d'une grève de la faim, cependant, la version la plus probable serait qu'il ait succombé à ses blessures.
( Source : voir sitographie, Steve Biko, 1er lien )
Ces hommes ont combattu jusqu'à leur mort pour une cause qui n'était pas religieuse, mais qu'ils considéraient simplement, comme juste. Ce sont des martyrs dans la mesure où ils sont sortis victorieux de leur combat, ils sont morts après avoir subi d'indescriptibles violences mais en poursuivant le combat jusqu'à leur dernier souffle.
Certains
martyrs, du moins considérés comme tels par certains, sont moins
exemplaires que les figures vues précédemment. Nous illustrerons ce
sujet en étudiant le djihadiste moderne et ce qui peut faire de lui
un martyr.
Premièrement,
les djihadistes modernes ont pour ambition de convertir tous les
Hommes à l'Islam, pensant qu'un jour Allah redescendra sur Terre
pour diriger le monde. Ils font partie du mouvement de l'Islamisme
qui regroupe les courants les plus radicaux de l'Islam. Ils ont pour but de faire de cette religion une idéologie politique qui passe par
l'application rigoureuse de la charia ( loi islamique fondée sur les
principes du Coran ) et la création d'États
islamiques.
Certains
sont considérés comme martyrs par diverses personnes, qui partagent
généralement le même dogme, car ils acceptent de sacrifier leur
vie, même de manière violente pour défendre leur cause, par
exemple dans des explosions ou encore des fusillades.
Défendre
son idéologie jusqu'à en mourir peut sembler honorable, cependant,
le chemin qu'ils empruntent pour atteindre ce statut, est moins
irréprochable que celui des martyrs courants. Pour gagner son
combat, ce djihadiste est prêt à mourir mais également à tuer. En
effet, d'innocentes personnes sont violemment tués par balle ou lors
d'attentat à la bombe ou même d'attaques chimiques.
Attentats de Paris le 13 novembre 2015
(
Source : voir sitographie, le djihadiste, le chahîd, 2ème lien )
Les
attentats du 13 novembre 2015 sont un exemple parmi d'autres. Ils se
sont déroulés à Paris faisant 130 morts ainsi que 352 blessés
dans six attaques distinctes. La première se produisit aux abords du
stade de France où trois terroristes se firent explosés à l'aide
de ceintures explosives, ce furent les premiers attentats suicides en
France. Suivirent une attaque dans le 10ème arrondissement, puis
quatre autres dans le 11ème. Ce furent des fusillades à l'exception
d'un terroriste qui se fit exploser. La plus meurtrière se déroula
dans la salle de spectacle du Bataclan où 1500 personnes assistaient
à un concert de métal. Les djihadistes ouvrirent le feu sur le
publique faisant 89 morts et plus de 100 blessés.
Abdelhamid
Abaaoud, commandant présumé des attentats de Paris le 13 novembre
2015
(
Source : voir sitographie, le djihadiste, le chahîd, 1er lien )
Le
djihad est une pratique de l'Islam, un martyr dans cette religion est
appelé un chahîd. Le sens du mot arabe est proche de celui du mot
grec ( marturos : témoin ) puisque le mot chahid (« i » court)
signifie lui aussi témoin. Dans l'Islam comme dans le Christianisme,
le martyre est un témoignage de foi qui se fait dans l'amour y
compris pour les juges et les bourreaux, cependant le chahîd de
l'Islam peut mourir en soldat lors d'un combat, en effet nous
parlerons plus de métaphore du combat dans le Christianisme.
La
tradition chrétienne souligne l'importance du sacrifice, le Coran,
quant à lui, le désapprouve de façon explicite, seule compte la
piété. Également,
le fait que les martyrs deviennent des saints dans le Christianisme,
est étranger à l'Islam, du moins à l'Islam sunnite qui représente
84% de la religion. Ce combattant prêt à mourir en martyr accomplit
seulement un acte privé, cela n'a pas de répercutions sur sa
communauté.
Selon
l'Islam, un chahîd n'en devient un qu'à la seule condition de
mourir accidentellement. Dans son hadîth ( recueil composé de
l'ensemble des traditions relatives aux actes et aux paroles de
Mahomet ), Abû Hurayara illustre ce qu'est un martyr dans l'Islam : « les martyrs sont au nombre de cinq : l'homme mort suite à une
maladie du ventre, l'homme mort par la peste, le noyé, le mort sous
des décombres et enfin celui qui est mort au service de Dieu », la
vie éternelle est accordée à ceux qui tombent.
Pour
en revenir aux attentats suicides, nous pouvons donc, à présent, nous
demander si les auteurs de ces actes peuvent-ils être considérés
comme martyrs. Certains savants musulmans répondent non à cette
question car le suicide est interdit dans l'Islam, de même que de
semer la corruption sur Terre.
Nous nous sommes rendus compte que le Christianisme et l'Islam ne sont pas les seuls à avoir des martyrs. Au XXème siècle, nous avons observé l'apparition majoritaire de martyrs qui ne se battaient pas pour une religion mais pour de toutes autres causes, inconnues à celle de la foi. Toutefois, les caractéristiques qui ont fait d'un homme un martyr sont toujours restées les mêmes. Dans chaque portrait étudié aujourd'hui, nous avons reconnu le symbole du sang, le témoignage de celui-ci, et avec, l'incomparable violence infligée aux martyrs. Nous avons également reconnu leur courage, leur résignation à mourir, pour toutefois gagner leur combat intérieur entre le bien et le mal. Les martyrs d'hier et d'aujourd'hui n'ont pas peur de mourir, ils défendent leurs causes jusqu'à la leur mort.
Cependant, cette notion est de plus en plus galvaudée, en effet de nombreuses personnes sont qualifiées par celle-ci après de violentes morts, pourtant, nous oublions que ces personnes n'ont, le plus souvent, pas accepté cette mort, elle n'était pas prévue.
Le martyr est un héros mort pour défendre une cause qui lui paraissait juste, il accepte la violence et la mort. Son dernier souffle expiré, son combat est gagné.